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Le mardi soir

de 19 h 30

à 22 h

 Negro Spirituals et Gospel,

musiques de libération intérieure et sociale


Naissance dans la souffrance des hommes

Vous avez probablement toutes et tous déjà entendu des airs de Gospel. Peut-être avez-vous déjà fredonné, ou même chanté à tue-tête « Oh when the Saints », ou « Oh Happy Day ». Vous avez entendu là une musique rythmée et entraînante ? Sans doute aussi avez-vous senti la joie qu’elle procurait, et toute la palette d’émotions ardentes qu’elle pouvait susciter.
Peut-être l’idée vous a-t-elle effleuré que derrière le folklore apparent, que l’on a parfois livré au public européen, quelque chose de plus grand, de plus profond, de plus puissant s’exprimait là.
Et pour cause... Les Negro Spirituals et plus tard le Gospel, portés par des voix noires, sont nés dans les Amériques du XVIIème siècle, faisant écho aux claquements du cuir sur les chairs, à la violence des coups, au cliquetis des chaînes. Ils nous parlent de l'épuisement au travail dans les plantations, des cris et des pleurs ravalés, de la complainte de frères et de sœurs séparés, des douleurs des mères et des filles violées, éloignées des leurs, cédées aux enchères loin de maris vendus nus et enchaînés, marqués au fer puis transportés à l’autre bout du Sud.
Un sud qui construisait sa richesse et sa prospérité sur les traces ensanglantées laissées sur le dos des esclaves. Mandingues, Wolofs, Soussou, Coromantins, Mendé, Yorouba, douze à quinze millions d’hommes et de femmes de toutes ethnies, des familles séparées et déportées. Des humains « exportés », un territoire, l’Afrique occidentale, pillé, exploité, avec l’aide de complices locaux, pour cultiver le coton, le riz, le tabac, la canne à sucre dans ce continent qui élaborait son économie et sa culture sur du sang et des larmes.

Ces êtres, à qui l’on reconnaissait à peine la condition d’humains, ne pouvaient percevoir alors d’autre musique que le vent du fouet, le « Black code » interdisant aux Noirs l’usage de tout instrument. Pourtant, malgré les tortures, les séparations injustes, et en dépit des efforts pour détruire les liens ethniques et identitaires, éclater les familles, et empêcher toute communication, les maîtres blancs ne purent annihiler la volonté de ces peuples de lutter pour la survie de leurs âmes. Car qui que nous soyons, blancs ou noirs, personne, jamais, ne peut nous prendre l’essentiel : ce que nous sommes « à l’intérieur ». Notre identité, nos croyances, nos valeurs, notre Âme. Quand plus rien du corps et de l’Etre physique ne nous appartient plus, quand il n’est plus rien sur quoi s’appuyer pour survivre, reste l’intériorité, reste l’essence humaine.


Les Work Songs

Alors, au-delà de la souffrance ou de la joie, dans une transcendance de soi-même, vient le chant pour hurler corps et âme « je suis encore en vie ! ».

On ne peut usurper ni la mémoire, ni la capacité de l’Homme à développer un imaginaire salvateur. La voix devient alors un médiateur avec les Dieux et les forces surnaturelles.

Entonnés comme un échappatoire à la douleur par des corps mutilés et courbés vers le sol des plantations, les chants de travail dits « work songs » s’élèvent a capella pour exprimer la peine ou hurler son identité, rythmés par le martèlement de la bêche, de la pioche, de la houe et le lourd bruit des chaînes, premiers instruments de fortune réinventés.
Le cri, le shout, est lancé pour tous les frères par celui qui appelle le chant. Alors la polyrythmie africaine renaît, et les polyphonies des autres voix se fédèrent spontanément autour du shouter dans des langues mélangées entre  origines africaines et américain.
Art brut et authentique, les work songs, loin d’être rudimentaires, non seulement aideront les esclaves à supporter les souffrances et le labeur, mais elles seront le terreau d’une nouvelle culture métissée.


Les Negro Spirituals et la libération

Le Maître blanc va ensuite décider d’évangéliser ses esclaves, dans un but de pacification des esprits, et afin d’étouffer tout volonté éventuelle de révolte. Immédiatement, les esclaves vont adhérer à cette religion du blanc, et les premiers Negro Spirituals, chants noirs spirituels, naîtront très vite de l’interprétation par les esclaves de l’Ancien Testament et des hymnes protestants, pour plusieurs raisons :

Les esclaves, sans totalement abandonner leurs croyances, s’interrogent sur ce Dieu unique et puissant, et trouvent des éléments communs avec les religions africaines (justice immanente, chefs religieux, rituels, mythes, héros de légende, retrouvailles en communauté…).

Aussi vont-ils s’approprier cette religion et ses hymnes, en y mêlant des éléments de leurs propres pratiques et aussi en établissant des liens entre leurs pratiques ancestrales, leur histoire et les textes bibliques. Ainsi, le baptême par immersion est-il proche des cérémonies d’initiations africaines et est vécu, accompagné de chants, comme une renaissance, une résurrection après les souffrances, avec une intensité proche de la transe et une force émotionnelle proche de la possession des esprits pour les africains.

Par ailleurs, le peuple afro-américain va s’identifier au peuple juif, esclave comme lui, dont on lui raconte l’histoire dans la Bible « The Good Book ». L’Ancien Testament donne aux esclaves une vision de leur condition et leur insuffle un incroyable espoir d’une libération réelle future et la possibilité d’une libération intérieure immédiate. Toute cette puissance de croyance va alimenter une foi profonde et dynamisante.
Les histoires extraordinaires se succèdent, comme des contes africains, avec des personnages fantastiques et de héros tels que Moïse. Le chapitre de l’Exode va combler toutes les attentes et les espérances des esclaves noirs voulant se reconnaître dans cette puissante évocation du triomphe des bons contre les méchants. Il donnera lieu à un très célèbre spiritual décrivant cette fresque en 25 couplets : « Go Down Moses ».

Ainsi, les Negro Spirituals aideront à soigner les âmes par l’imaginaire, grâce à des personnages marchant sur les eaux, des actes libérateurs, des morts ressuscités, des bâtons changés en serpents, ….

Les Negro Spirituals s’installent donc dans les Eglises protestantes blanches, et s’y expriment avec la ferveur et la rythmique africaine, avec une force et une expression émotionnelles largement plus démonstratives que la retenue austère des blancs. Les esclaves apportent leur technique musicale en créant des hymnes plus attractifs et des textes qui provoquent l’émotion. Le style musical est alors articulé autour des blues note.
NB : Il est néanmoins à noter que les Negro Spirituals prennent une place particulière d’un point de vue musical et spécifiquement dans le traitement vocal. Pour le comprendre, il est nécessaire de préciser le contexte dans lequel se sont développés ces chants : Par opposition aux chants de travail ainsi qu’au gospel qui naîtra au 20° siècle, les Negro Spirituals ont été une musique de concerts. En effet, les maîtres blancs, bien qu’ayant du mal à considérer réellement l’humanité de leurs esclaves, constatent la beauté et la singularité de ces chants interprétés par leurs nègres évangélisés. S’instaurent alors, dans les salons de la bourgeoisie américaine de véritables concerts, donnés par des esclaves pour leurs maîtres. Mais d’évidence, les oreilles « sensibles » de ces maîtres, imprégnées de la musique classique occidentale d’alors, ne pouvaient supporter trop d’extravagances vocales. Il en découle que l’interprétation des Negro Spirituals devait s’exécuter de manière très lyrique. Aujourd’hui encore, nous pouvons entendre des enregistrements faits par des chanteurs lyriques (Jessie Norman, Barbara Hendricks, George London, Derek Lee Ragin) et des chœurs classiques spécialisés (The Moses Hogan choir).
Ajoutons que la beauté naturelle de la voix et du chant ne saurait être séparée de la force spirituelle qui l’anime et la porte à se libérer de sa condition humaine de souffrance. A cette dimension se superpose une capacité d’improvisation impressionnante des preachers (prêcheurs) qui entraînent les croyants dans une transe quasi hypnotique à un moment paroxystique du chant.
    
La musique vectrice des filières d’évasion

Néanmoins, la musique et les chants n’ont pas servi uniquement l’apaisement des souffrances. A l’inverse de la stratégie des colons blancs christianisant leurs esclaves dans l’espoir de les pacifier, les Negro Spirituals et ensuite le Gospel ont non seulement donné de l’espoir et une vision du futur, mais cette musique a permis le développement d’une conscience collective sur la condition humaine et sociale des populations esclaves. Les hymnes et paraboles ont alors été des vecteurs de libération sociale. Notons pour l’anecdote que nombre de Noirs rebelles ou évadés se verront surnommés Moïse.

Les messages symboliques des chants, les rassemblements religieux de la communauté noire favorisant les échanges, les sens codés et symboliques inclus dans bien des chants ont aidé les filières d’évasion et alimenté les courants de rebellions et les mouvements abolitionnistes. La révolte et l’incitation à l’insurrection sont présentes dans de nombreux hymnes pourtant innocents à première vue. Bien des morceaux cachent des double-sens, des symboles et des messages faisant référence à des filières d’évasion vers le Nord, aidées par les abolitionnistes du Sud.  Notons, par exemple, les symboles du chemin de fer et du chariot (sweet chariot), si souvent mentionnés dans les Spirituals. Ils sont en réalité une évocation déguisée de Underground Railroad -Chemin de fer souterrain- un mouvement organisant les évasions. Le chemin de fer suggère l’image du parcours qui conduit vers Dieu et, plus concrètement, c’est le chariot de fer qui est voie d’évasion, grâce à la complicité et au courage de chefs de gares et de convois qui font office de guides vers les régions du Nord.
Ainsi les territoires du Nord apparaissent-ils pour les esclaves comme « la terre promise » et ils associent phonétiquement le Canada à Canaan. Pareillement, la « maison » (Home), si souvent clamée dans les chants, et qui n’est rien d’autre que le Ciel, devient par un pays où l’esclavage n’existe pas. Le Jourdain est, lui, assimilé à l’Ohio, fleuve et barrière que l’on doit franchir pour devenir libre.


De l’esclavage à la ségrégation, des Negro Spirituals au Gospel

La guerre de sécession, à la fin du 19ème siècle, vient bouleverser l’ordre existant au sud et ruiner l’économie des plantations. Celles-ci sont alors morcelées, et la main d’œuvre est dispersée. Pourtant, le problème des esclaves affranchis reste entier, car la libération fait place à la ségrégation, à l’errance sans travail, aux ghettos et à la misère. La haine et l’envie de vengeance habitent les terres du Sud. C’est ce qui permettra l’émergence du Ku Klux Klan, et les exactions et violences qui le caractériseront ce mouvement (lynchages, tortures, mises au bûcher…). Le KKK massacre non moins de 3 500 noirs entre 1866 et 1875…

Mais où est la musique dans tout ce chaos ? Eh bien, des courants revivalistes vont se succéder, même dans les églises blanches. De nouvelles branches évangélistes et des assemblées religieuses sous formes de « camp meetings » et « urban meetings » vont s’organiser et se multiplier. Ces courants vont amplifier l’interprétation des Ecritures et faire évoluer la puissance musicale. Au sud comme au nord, on se réunit en ville dans des stades ou sur des esplanades.
Dès lors on se concentrera davantage sur le Nouveau Testament, et les Negro Spirituals a capella évolueront vers les « Gospel Songs » avec accompagnement instrumental (Gospel étant la contraction de « God Spell » autrement dit Parole de Dieu). La musique Gospel va naître en tant que genre musical à part entière dans les années 1930, dans les ghettos noirs des états du Nord. Il se différencie du genre précédent par la référence et la prière à Jésus. Toute la place lui est faite, et il devient le « personnage » central : Sa présence, Sa gloire, Son sacrifice,
Sa résurrection, et Son Amour. Naissance et résurrection sont toujours très présentes.
Le Christ est le seul qui puisse désormais conduire vers la Terre Promise, libérer le corps autant que l’esprit, le seul que l’on puisse appeler « Sauveur ». C’est un chemin, une espérance et une expérience de libération plus individuels et plus intimistes, même si cela se vit et s’exprime dans la communauté.

Accompagnés d’orgue ou d’instruments à cordes, les chants sont scandés avec des claquements de main, des snaps, et laissent une large place aux improvisations vocales. Les sermons du preacher, se font plus vibrants, plus incantatoires, plus puissants. Ils invitent les fidèles à se libérer des passions, les amènent à l’état de transe à l’aide d’une lecture fervente des Saintes Ecritures Evangéliques. Des rituels « revivalistes » sont présents : invitation à la confession publique, aux témoignages, aux extases collectives, aux « holy danse » faisant renaître ainsi des traditions africaines longuement refoulées, mais non disparues.

Dans cette affirmation musicale de la croyance, le salut est individuel mais s’exprime dans la communauté, et il est à chercher la transe et la Grâce Divine, via le Saint-Esprit. La possession du corps se vit par le chant et la danse, par le claquement des mains et les shouts, pour témoigner, partager l’expérience, et fraternellement aider les frères et sœurs à renaître à leur tour. Les chants parlent d’élévation intérieure, mais aussi de changement du monde, d’éveil de conscience, de transcendance et de connaissance par la prière au Christ. Ils parlent du progrès de l’humanité et DU Jour de Joie. Ils évoquent un espace d’évolution personnelle et de puissance de l’exemplarité.
Puis, lorsque parfois le Saint Esprit se manifeste, il arrive que les fidèles s’expriment « en langues », langage de communication avec le Divin, comme dans les Actes des Apôtres (II, 1-4).

Le Gospel, musique d’espoir social

Tout comme les Spirituals, les chants Gospel, parallèlement à leur pouvoir d’élévation et de conscience intérieure, jouent un rôle crucial dans l’évolution sociale et les progrès des droits de la communauté noire. Les cultes attirent les foules, et le message est toujours porteur de promesses d’un « ici et maintenant » lumineux, libérateur et flamboyant, sans exclusion raciale. La seule voie de secours de la Communauté, et au-delà, de l’Humain, c’est Dieu, que l’on doit prier et louer avec force, courage et exubérance. En cette période encore, la subversion se niche derrière les mots et les symboles. Les paraboles intemporelles et les messages sont portés par la puissance rageuse des preachers et des solistes, et par les chœurs dits « de masse » (Mass Choir).
Le Gospel est un combat qui ne s’avoue pas officiellement comme tel. Il est un refus de l’Amérique raciste dans l’acceptation de l’Amour Divin, une libération de chaque individu dans la création collective. Il est un outil de lutte pour la communauté noire qui offre aux fidèles, bien plus qu’un syndicat ou un parti, un espace de partage et de fraternité.
D’autant plus que les mouvements de lutte sociale et de syndicalisme existant alors sont vécus par la communauté noire comme le combat des ouvriers blancs pour les ouvriers blancs. Par ailleurs, les blancs sont, pour les noirs, des concurrents pour l’obtention d’un travail, ou dans le quotidien à l’usine. Ils sont aussi les petits chefs qui les exploitent et les maltraitent. C’est pourquoi les croyants préfèrent le charisme du pasteur, l’espoir exprimé dans les chants et le soutien de l’Eglise et de la communauté. La musique Gospel sera, pour certains artistes, un moyen d’évolution sociale, même si le genre musical reste, à cette époque, une musique pour la communauté noire. Les quartets masculins seront légions, et les chanteuses ne seront pas en reste, qui seront les pionnières des luttes féministes, au travers de fortes personnalités s’exprimant dans la musique : Roberta Martin, Sister Rosetta Tharpe, Marion Williams, Mahalia Jackson, et bien d’autres ouvriront la voie de l’émancipation.

Le Gospel sera, avec la Soul Music, La musique de référence et d’accompagnement de toute la lutte sociale et politique pour l’obtention des droits civiques conduite par le Pasteur Martin Luther King dans les années 60. A l’époque, la colère la révolte se développent et enflent dans les ghettos. Les artistes n’échappent pas à ces bouleversements revendicatifs, et à cette conscience politique qui se forge et s’exprime, de plus en plus soutenue  par des intellectuels blancs. L’Eglise sera le lieu de la solidarité et de la liberté. De nombreux spirituals anciens seront repris en chœur lors des marches pacifistes et des manifestations. Certains seront ré-interprétés et adaptés pour les circonstances, tel que « This Little Light of Mine » qui sera agrémenté de couplet supplémentaires. Parmi les chants interprétés en masse comme autant de signes de ralliement et de mobilisation, l’un en particulier sera considéré comme l’hymne de résistance : We shall overcome.

Une fois encore, la musique et la foi des noirs américains participeront largement à la libération, dans une puissante alliance entre colère et apaisement, diatribe et prière, dégoût et amour. Quelle autre preuve faudrait-il pour démontrer l’intemporalité et l’universalité du message humaniste et transcendant de la musique Gospel ?...

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